"FRED
FOREST PRESIDENT DE LA TV BULGARE".
DES
LUNETTES ROSES POUR LA PRESIDENCE DE LA TELEVISION NATIONALE
BULGARE.
Sous
le titre générique : "Fred Forest Président
de la télévision Bulgare : pour une T.V. utopique
et nerveuse", j'ai effectué une série d'actions
du 2 au 9 octobre 1991 dans le contexte urbain et médiatique
de Sofia. Soutenu activement par les journalistes de l'opposition,
alors que les forces communistes, (rebaptisées pudiquement
"socialistes"), détenaient toujours les leviers du
pouvoir. J'ai mené sur place une véritable campagne
publique pour briguer un poste officiel. Un poste officiel
au plus haut niveau de la communication d'un état socialiste,
puisqu'il s'agissait, tout simplement, de celui de Président
directeur général de la télévision
nationale : BULGARSKA TELEVISIJA, la société
d'exploitation de BTV 1 et BTV 2, les deux chaînes bulgares.
Ce
poste, d'ailleurs, n'était nullement vacant à
l'époque. Cette provocation visait à anticiper
en quelque sorte sur les résultats à venir des
prochaines élections pour la désignation des
représentants à l'Assemblée Constituante.
Elections qui devraient se dérouler une semaine plus
tard. Mes passages successifs le jour même de mon arrivée
à Sofia sur les deux chaines nationales, aux plus forts
moments d'audience, ont immédiatement fait de moi l'incontournable
adversaire du pouvoir médiatico - politique en place
! Ce statut m'a été octroyé par Monsieur
Ognan Saparev lui-même, président en fonction
quand, aussi invraisemblable que cela puisse paraître,
il a fait annoncer par le présentateur du J.T. "qu'il
relevait le défi du français" pour un face à
face en direct !" Dès lors ma candidature démarrait
sur les chapeaux de roue. Comme artiste de la communication
un champ étonnant d'expérimentation s'ouvrait
devant moi. Il est loisible d'imaginer, déjà,
ce qu'une telle situation peut constituer en soi d'exceptionnelle
au titre d'une "aventure" personnelle singulière. Je
voudrais dans ce cadre tenter d'écrire et d'expliciter
comment à travers une telle expérience, induite
au titre d'une nouvelle pratique, de nouveaux territoires
de la communication sont appropriables par l'art, pour produire
du symbolique et du questionnement critique.
Si
l'on s'attarde rétrospectivement à analyser
la suite des événements survenus, force est
de constater que l'action par rapport à sa finalité
initiale, et au scénario mis en place pour la conduire,
a parfaitement abouti. L'espace de l'information bulgare aura
été subverti pour un temps par des éléments
parasites qui, par contiguïté ont contribué
à détourner les codes en vigueur; encore plus
significativement dans ce pays-là. Bien au-delà
de la Bulgarie, à ce moment historique des mutations
qui affectent les pays de l'Est, mon propos visait d'une façon
ingénue à questionner l'utilisation qui est
faite de cet outil qui s'appelle la télévision
et qui d'une façon ou d'une autre, modèle nos
sociétés, voire nos esprits. Et dans ce moment
où les systèmes d'information font l'objet de
manoeuvres multiples de contrôle, de pouvoir, de manipulation
de l'opinion, font l'objet de crises et de questionnements
éthiques, tenter de constituer un "objet" symbolique,
original, prenant corps dans la structure même de l'information.
La
parodie artistique des comportements politiques devenant,
elle-même, un acte de communication politique, inscrit
dans l'espace de l'information. Un espace qui est aujourd'hui,
par la force des choses, le champs principal des échanges,
des stratégies et des confrontations politiques. Dans
cette expérience nous avons fait, d'une façon
délibérée, du lieu de l'information,
le lieu de l'art ! Celui de l'art, car, il s'agissait bien,
pour nous, d'une production symbolique. Bien sûr ce
n'est pas tout à fait la même chose que de donner
une pièce de boulevard dans un théâtre
parisien ou une représentation sur la ségrégation
raciale dans une rue de Harlem. Ce n'est pas non plus, exactement
la même chose, de faire une peinture de chevalet, que
de présenter sa candidature pour la fonction de Président
directeur général de la télévision
bulgare...
Je
suis enclin à penser que si dans tous les cas cités,
à des niveaux différents, on travaille toujours
avec l'imaginaire, il est évident que l'implication
directe au réel n'est pas la même. Le déplacement
des codes, et en quelque sorte leur parasitage, est toujours
plus intéressant quand soudain naît par une sorte
de contamination l'incertitude entre ce qui de l'ordre de
la réalité et ce qui relève de la pure
fiction... C'est du va-et-vient de l'un à l'autre,
dans une distance qui rétrécit quelquefois au
point de s'annuler, que se crée le plaisir du récepteur,
sa complicité, et quelquefois sa crise de conscience.
Il
était très clair pour les personnes de mon entourage,
et celles de la Fondation Yanko Sakazov responsables de la
préparation de ma campagne sur place que cette candidature
était de pure forme, de portée symbolique et
de caractère provocateur. Comment en aurait-il été
autrement d'ailleurs ? J'étais ressortissant français,
incapable de prononcer ou de comprendre un seul mot de la
langue bulgare. Mon programme, largement diffusé, affirmait
sans ambiguïté que je démissionnerai aussitôt
le poste obtenu. Ne l'oublions pas, je suis un artiste. J'aurai
pu aussi bien briguer le poste de chef de la gare de Perpignan.
Mais du fait que je suis un artiste de la communication, je
devais prétendre à celui de Président
de la TV bulgare ! Pour le plus grand nombre d'observateurs,
sur place, et surtout pour le public des médias, il
était difficile de se faire une opinion sur cette candidature
"curieuse", qui bénéficiait pourtant de deux
atouts majeurs : Celui que confère, à Sofia,
"l'aura" d'un titre de "chargé de cours à la
Sorbonne" ... et la crédibilité que lui donnait
la légitimation des journalistes de l'opposition qui
la soutenaient.
Il
est utile de donner, quelques informations sur la genèse
de cette candidature. Personne ne pourrait croire que j'ai
décidé de me présenter à la fonction
de Président de la TV bulgare à la suite d'une
soudaine "révélation", comme certains décident,
du jour au lendemain, qu'ils sont Napoléon ! Non, c'est
une question de circonstances qui fait toujours le larron.
Tout simplement la rencontre fortuite de journalistes bulgares
dans les couloirs du Vidéo Festival de Locarno. (1)
Des
journalistes qui avaient connaissance de ma pratique par des
informations recueillies à Berlin, quelques mois plus
tôt, sur une action réalisée entre ...
Moscou et Paris par téléphone. (2) Enchantés,
visiblement, de rencontrer l'auteur de la première
création musicale mondiale, qui avait eu pour cadre
le réseau téléphonique international
entre l'Est et L'Occident. Séduit par cette pratique
artistique, Rossen Milev après une longue discussion
me proposait dans un élan enthousiaste la réalisation
d'un "événement" médiatique à
Sofia. Directeur de la revue Balkan Media il m'assurait de
la collaboration d'un grand nombre de supports de presse...
Quelques mois plus tard il reprenait contact avec moi. Compte
tenu de la position centrale occupée par la TV à
cette époque-là, dans la polémique permanente
instaurée entre l'opposition et les communistes, encore
détenteurs du pouvoir, Milev estimait que c'était
à partir de ce pôle que devait se développer
notre action. Il fut donc décidé que mon action
consisterait à briguer le poste de Président
de la télévision bulgare ! L'opération
fixée et préparée pour décembre
1991, initialement, fut reportée à la suite
des manifestations survenues à l'Université
dans un climat généralisé de tensions
sociales. Elle se réalisa, dix mois plus tard, dans
les conditions prévues.
Quand
je postule aux fonctions de la TV bulgare, au plus haut niveau,
il est tout à fait évident que le succès
escompté repose entièrement sur la capacité
d'investir l'espace médiatique. Sur le bon fonctionnement
du dispositif, élaboré en vue de mettre en scène
ma candidature dans l'espace de l'information. En produisant
de l'événementiel, en pratiquant un détournement
systématique des codes en usage, nous ferions émerger
un questionnement critique d'une forme tout à fait
inédite dans un pays encore sous l'emprise des modèles
totalitaires. Quelques "idées-force "et quelques signes
sélectionnés constitueraient le vocabulaire
de base de cette campagne pour en garantir, en même
temps, la provocation et la légitimité : la
Télévision promise sera "utopique et nerveuse".
Le candidat n'est pas un politique. Le candidat n'est pas
un bureaucrate. Le candidat n'est pas un gestionnaire. Le
candidat n'est pas un technocrate. Le candidat est un "artiste"
des médias, de renommée internationale. Le candidat
est de nationalité française. Le candidat n'a
aucun lien de parenté avec le Président Mitterrand.
Le candidat portera les lunettes roses. Le candidat annoncera
la date de sa démission le jour même de sa désignation.
Lors de ses apparitions publiques, et à la télévision,
le candidat sera toujours vêtu d'une veste de rocker
en cuir noir. Le candidat est chargé de cours à
la Sorbonne. Le candidat en matière de télévision
récuse les modèles de l'Est, comme ceux de l'Ouest.
Ce serait réduire le propos visé que de vouloir
ramener ce type d'action au niveau du canular. Certes Coluche
déjà avait envisagé, dans le cadre d'une
consultation électorale en France, de briguer la fonction
élyséenne suprême. Des pressions de tous
ordres l'en ont vite dissuadé. Coluche, avec son génie
propre, était avant tout un artiste de variétés,
qui ne voyait là qu'une occasion, comme une autre,
d'exercer son humour et sa verve corrosive. La démarche
engagée à Sofia ne vise pas les mêmes
buts. Elle vise essentiellement à subvertir le systèmes,
médiatique pour mieux en révéler les
mécanismes. C'est un travail et une praxis sur les
codes. Une métacommunication sur la communication qui
tend par sa pratique spécifique à questionner
le fonctionnement de l'information dans nos sociétés.
Ce questionnement ne s'opère pas à l'aide d'outils
conceptuels, par une analyse et un discours théorique
mais, par une action qui joue sur la situation, elle-même,
à chaud. Par un détournement des codes qui joue
sur plusieurs niveaux.
Rétrospectivement,
ce qui paraît étonnant, c'est le fait que le
pouvoir médiatique en place, incarné par Saparev,
lui-même au sommet, Président de la Télévision
Bulgare, n'ait pas flairé la ruse, et qu'il se soit
au contraire précipité, tête baissée
dans les filets tendus par nos soins... Dès le jour
de mon arrivée à Sofia, qui avait été
précédé de quelques informations distillées
par mes amis journalistes de la Presse écrite, je lui
lançais le défi d'un face à face en direct.
Défi énoncé lors de ma première
conférence, devant les journalistes, au Centre International
de Presse, en même temps je dévoilais les contenus
de mon programme pour une nouvelle télévision
bulgare : "utopique et nerveuse". Dès 20 heures les
images de cette conférence de presse étaient
retransmises dans le journal du soir, commentées par
la présentatrice-vedette, Nery Terzieva, sur la première
chaîne BTV1. A 22 heures c'était au tour de la
deuxième chaîne d'en rendre compte dans son journal.
Au vue de ces images la réaction d'Ognan Saparev, sous
le coup de l'impulsion, fut de décrocher sa ligne directe
pour appeler la rédaction. En fin de journal Nery Terzieva
donnait lecture d'un communiqué par lequel Ognan Saparev
faisait savoir, officiellement : "qu'il relevait le défi
du français"... Le lendemain, son entourage prenait
conscience de sa bévue. La représentativité
d'un artiste français n'est pas de même niveau
que celle d'un Président de la Télévision
bulgare...Conseillé par son directeur de cabinet, sous
différents prétextes, il tentait de gagner du
temps : voyage en province, grippe diplomatique, réunion
de travail avec le ... Chef de l'Etat. Les journalistes de
l'opposition, sur ses traces, le harcelaient, sans répit,
afin qu'il fasse connaître le jour et l'heure de la
confrontation sur les petits écrans. La presse, en
manchettes, titrait : "Saparev a peur de l'artiste", "Saparev
se cache", "Saparev redoute le français". J'imagine
sans mal l'embarras distingué des services de l'Ambassade
de France à Sofia... Ayant eu vent du projet le quai
d'Orsay avait tenté déjà de me dissuader
d'engager cette action. La pression était à
peine voilée. Elle émanait d'un diplomate en
poste à Sofia, avant même mon départ de
Paris. La France négociait à l'époque
des accords de TV avec la Bulgarie, jugés de première
importance. Mon action "inopportune" risquait de les mettre
en péril. L'on redoutait un incident diplomatique qui
"ficherait tout par terre" ! Ingérence d'un ressortissant
français dans les affaires intérieures d'un
Etat étranger. Toujours insaisissable Saparev offrait
par sa dérobade le meilleur tremplin à la dynamique
de notre campagne. L'affaire était devenue nationale.
Il m'était désormais impossible de circuler
dans les rues de Sofia sans devoir improviser une conférence
de presse sur le trottoir. Le "français" par ses apparitions
répétées à la TV était
devenu : "l'icône cathodique aux lunettes roses !" aux
yeux du peuple bulgare !
Le
calendrier qui avait été établi pour
la campagne n'en continuait pas moins de se dérouler
selon le scénario arrêté lors de sa préparation.
-
Rencontre avec des foot-balleurs sur un stade au cours d'un
match international.
-
Dîner avec une famille-type à l'heure du prime-time.
-
Rencontre avec des intellectuels au café littéraire
de Sofia.
-
Dîner-débat au restaurant de la presse.
-
Réunion avec les représentants syndicaux de
la presse audio-visuelle.
-
Tournée en province, jusqu'au Plodiv, la seconde
ville du pays
-
Duplex avec la FIAC à Paris, pour rendre compte,
en direct, du développement de ma campagne pour une
télévision utopique...
-
Visite de courtoisie à la communauté orthodoxe
du Monastère de Patchko
-
Débat à l'Université au département
des sciences politiques avec les étudiants etc...
Mes
déplacements et mes consultations, à un rythme
effréné, avaient pour avantage de maintenir
la pression dans les médias. Saparev, invisible, fit
réapparition par une initiative étonnante et
parfaitement incongrue : Le jeudi 8 octobre rompant son mutisme,
il faisait savoir qu'il m'attendait pour déjeuner dans
un des meilleurs restaurants de Sofia... Si la veille j'avais
répondu avec plaisir à semblable invitation
de Mikhail Petkov chef du Parti Social Démocrate et
leader des forces oppositionnelles, il n'était pas
concevable que je puisse aller m'asseoir à la table
de Saparev. La manoeuvre me semblait tout à fait grossière.
Je voyais, déjà, le lendemain, dans la presse
bulgare, notre photo : La main de Saparev sur mon épaule!
Saparev, serviette au cou m'attendait à l'intérieur
en compagnie de son chef de cabinet Je demandais à
Katia Vladimirova, journaliste, d'être mon porte-parole.
Elle ferait savoir à Saparev que j'étais venu
à Sofia pour lui ravir son poste, que je n'avais rien
contre sa personne, mais que je ne m'installerai à
sa table que s'il lui communiquait, pour les rendre publiques,
date et heure, de notre face à face, en direct, prévu
à la télévision ! Sur le trottoir à
travers la vitre embuée je pus apercevoir son chef
de cabinet agiter les deux bras, comme un sémaphore.
Rouge de colère son indignation s'exprimait sans retenue
: "C'était la première fois que pareil affront
était fait à un Président en exercice".
Oser poser des conditions avant de s'asseoir à sa table
constituait une inqualifiable injure. Saparev, figé
dans son trois pièces "gris soviétique", n'avait
visiblement aucun droit à la parole. A partir de ce
moment les événements se précipitent.
Je me rend en ambulance, toutes sirènes hurlantes au
siège de la télévision pour remettre
une lettre rendue publique par laquelle je prends acte de
la dérobade de Saparev. Les membres de l'équipe
vidéo qui me suivent depuis le premier jour ont tous
revêtus des blouses... d'infirmiers pour la circonstance.
La lettre mentionne que "le pouvoir de l'imagination sera
toujours au-dessus du pouvoir politique, la langue de bois,
et la bureaucratie". Je parcours dans les rues de Sofia un
itinéraire qui m'amène jusqu'au Parlement. Il
s'agit, en quelque sorte, d'une caravane de campagne électorale.
Juché sur le toit d'une voiture, je salue la foule.
Mon
équipage : des cavaliers sur leurs montures qui brandissent
des antennes de télévision. Me rendant sur un
plateau de télévision pour enregistrer une émission
programmée de longue date je refuse d'y participer
: mes invités ont été récusés,
remplacés au pied levé par des personnes qui
me sont parfaitement inconnues, mais dont il ne fait pas mystère
de leur appartenance politique. Mes amis me prennent à
part sur le plateau. Des informations précises viennent
de leur être communiquées : Ils sont incapables,
désormais, d'assurer ma sécurité. Je
dois repartir, au plus vite pour Paris, dans les vingt quatre
heures par le premier avion !
Le
mardi 8 octobre devant un grand nombre de journalistes, je
dresse le bilan de ma campagne. La réunion a été
organisée dans les locaux du Centre International de
Presse. Ce sera ma dernière conférence de presse
avant mon départ pour l'aéroport. Tout d'abord,
en changeant alternativement de place, de part et d'autre
de la table, je simule le face à face qui finalement
n'aura pas eu lieu. Il y a dans la salle plusieurs personnes
qui occupent des postes de premier plan sur les deux chaînes
nationales, également de très nombreux journalistes
qui ont été limogés par Saparev. Puis
je réaffirme les principes fondateurs d'une télévision
"utopique et nerveuse". Dont voici, ci-dessous, quelques extraits
:
"
Pour la première fois, depuis mon arrivée à
Sofia je vais enlever devant vous ces lunettes roses qui m'ont
rendu célèbre jusque dans les campagnes les
plus reculées... Au moment de repartir pour Paris je
vais vous livrer mon vrai visage. Pour être tout à
fait clair sur l'esprit qui a présidé à
cette candidature je me dois de préciser les faits
suivants :
N'étant,
ni un technocrate, ni un gestionnaire, ni encore moins un
politique, ou un entrepreneur de presse, j'ai brigué
ce poste en ma qualité d'artiste de la communication,
et uniquement à ce titre. C'est pourquoi rompant avec
les usages admis j'ai proposé dès ma nomination
d'instaurer d'emblée, et de façon irréversible,
la télévision utopique, créative, interactive
et nerveuse de demain.
Tel
a été le slogan répété,
tout au long de ma campagne. J'ai bien constaté que
votre télévision était en crise et que
la tâche qui m'attendait ne serait pas de tout repos.
Beaucoup de télévisions sont en crise de par
le monde. L'action que j'ai entreprise, ici, visait, sous
le prétexte de la télévision bulgare,
à questionner, au delà de ce pays, ce que l'homme
fait aujourd'hui de cet outil extraordinaire ? Comment il
l'utilise ? Quels en sont les enjeux ? les perspectives ?
Sa fonction au service de l'humanité, au seuil du troisième
millénaire ? C'est aux bulgares, bien sûr, de
régler leurs propres problèmes. Ils le feront
d'ailleurs dimanche prochain lors des élections en
se rendant aux urnes. Je n'ai pas de leçon à
leur donner. Vous avez compris au moment où je repars
vers ma propre vie, en France, que le poste de Président
Général de la Télévision ne m'importe
aucunement. Ma mission est remplie. Ce qui est important c'est
que nous avons réalisé dans ces quelques jours,
ensemble : un événement de portée symbolique,
une action médiatique exemplaire qui interroge dans
les médias le fonctionnement des médias. En
même temps, un appel à l'imagination dont le
lieu d'émission aura été Sofia en l'année
1991. Sofia à ce moment historique où le monde
bascule, car une telle action n'aurait pas fait sens, ni à
Paris, ni à Tokyo, ni à New York. Au moment
où les anciens systèmes s'effondrent et où
le monde recherche ses nouvelles valeurs, la création
et l'espoir doivent reprendre leur droit. Ma campagne pour
briguer ce poste, et même mes lunettes roses, n'avaient
pour but que d'agiter des idées, d'ouvrir un débat
sur le rôle que devraient jouer les médias et
la télévision dans une société
dite de communication qui s'ouvre sur le 21è siècle.
Nous sommes venus à Sofia pour oeuvrer dans ce sens.
Pour faire du sens. Les artistes font du sens selon une technique
éprouvée qui leur est propre : pratiquer la
dérision dans un océan de non sens, pour retrouver
le sens. Malgré les apparences, jamais candidature
n'aura été aussi sérieuse. Monsieur Saparev,
et la bureaucratie qui l'a sécrété, n'étaient
pas en mesure de le saisir. Une telle attitude se situe en
dehors de la logique politique qui structure son horizon mental.
Ce qui compte c'est ce qui s'est passé, ici, dans la
semaine. Ce qui compte, ce sont les symboles. Les symboles,
aussi, sont des armes. Ma candidature était un acte
symbolique qui aurait voulu devenir significatif aux yeux
du monde.
Pour
le soutien inconditionnel à ma candidature, je remercie
vivement l'Association Internationale des hommes et des femmes
d'imagination, le Corps des sapeurs pompiers de l'Oise, l'Orchestre
Philharmonique de New York, l'équipe de foot-ball de
l'Ajax d'Amsterdam, Monsieur Smith dentiste et téléspectateur
à Bristol, Grande Bretagne, le chef de la police du
Canton de Vaud en Suisse, le beau-frère du Président
de la République française, Neil Armstrong cosmonaute,
André Breton et ses amis, la personne anonyme qui m'a
adressé un télégramme de soutien d'Afrique
du Sud, le Cercle des officiers de cavalerie à la retraite
de Liepzig, l'Amicale des Présidents directeurs généraux
de télévision limogés ces dernières
années. Je ne remercie pas trois personnes : Fidel
Castro, Saddam Hussein, Le Président Khadafi.
Depuis
octobre dernier, après cette campagne baroque et flamboyante,
à la fois, quelques mois ont passé... L'opposition
a remporté les élections d'une courte tête.
Force est de constater que la télévision "utopique
et nerveuse" est remise sin die, en Bulgarie, comme ailleurs.
Comme quoi il ne suffit pas d'arborer des lunettes roses pour
devenir en Bulgarie le Président de la Télévision
nationale, ni même celui d'une chaîne privée
en France... Qu'on se le dise !
FRED FOREST Décembre 1991
^ |