Luvre
perdue de Fred Forest où le
procès comme prétexte à création
artistique (1)
Harald
SZEEMANN (en avion, janvier 1992)
Théoricien
de lart, organisateur d'expositions, co-directeur de
la Kunsthalle de Zurich
En
art - et on le sait, entre autres, par la pratique et la nature
du travail artistique engagé par Fred Forest - il n'y
a pas de certitudes. Il n'y a pas de certitudes à une
seule exception prés : tout ce qui est exposé
dans un musée ayant passé le rite habituel (le
musée invite l'artiste, l'artiste accepte ou refuse
)
devient Art ! Et cela sans distinction aucune, que ce
soit un tableau, une sculpture, un objet trouvé et
signé, un bout de papier, un gramme de radium posé
sur le toit du Musée, des dessins et des textes d'auteurs
du menu peuple invités par un artiste. Tout aussi bien
des pages de journaux présentées dans un classeur,
une relation de communication sous la forme d'un paquet postal
mis en route par un artiste. Bref, tout ce qui existe et qui
a pu être choisi par un artiste, tout devient art dans
le Musée. Et puisque c'est art, il y a en l'occurrence :
présentation, exposition et peut-être achat
Même quand il s'agit d'une exposition temporaire ou
de l'entrée de la chose devenue art dans le patrimoine,
et donc dans les collections, il y a toujours la responsabilité
de l'institution muséale qui est engagée. Donc,
inventaire, protection, conservation, restauration et surtout
l'uvre doit nécessairement toujours être
couverte par les assurances.
Assurer
tout ce qu'il montre est un des devoirs principaux d'un directeur
de musée ou d'un organisateur d'exposition. Et cela
même si l'artiste invité est souvent ennemi de
toute bureaucratie, et manifeste une sainte horreur à
remplir le contrat qui doit faire figurer les sommes représentant
les objets à assurer. Mais, s'il avait, au lieu d'imposer
son abus d'autorité, accepté la revendication
légitime de Forest pour le dédommager de la
perte de son dossier avec les dessins des " autre ""
peut-être celui-ci n'aurait pas créé avec
sa propre plume, ce qu'il a appelé " l'uvre
perdue ", une uvre constituée d'une
centaine de correspondances originales qui s'articulent avec
différentes actions médiatiques et parodiques
qu'il a menées contre l'État de Vaud durant
plusieurs années. Une sorte de " Recherche
du Chef-d'uvre inconnu " où Balzac vole
au secours de notre " desesperados " médiatique.
En
conclusion : nous dirons que moralement, éthiquement,
juridiquement, Fred Forest a le droit avec lui et les rieurs ;
et il a raison sur toute la ligne dans ses combats d'artiste
et son positionnement critique contre les représentants
du pouvoir politique, culturel et la bureaucratie. Le fameux
dernier mot qui clôt laffaire sans appel, et la
fin de non-recevoir du pouvoir politique, constituent dans
son cas un abus caractérisé, une injustice criarde.
On peut considérer que le Pouvoir politique dans cette
position n'est pas même " méchant ".
Il se révèle tout simplement stupide !
Les preuves en sont manifestes. Les preuves en sont accablantes.
Harald Szeemann, janvier 1992
Note
-(I)
Action médiatique qui s'est déroulée
entre 1978 et 1991. Voir " L'uvre perdue ",
édition Galerie Jacqueline Rivolta, Lausanne.
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