Fred Forest : art and Internet
par Vinton G Cerf
Je connais Fred Forest depuis une dizaine d’années. Je l’ai rencontré pour la première fois à Autrans, où tous les ans se déroule en France un colloque dévolu à Internet et aux réseaux. Ces journées, très riches en informations échangées, et à une époque en pleine phase du développement de l’Internet, réunissaient tout ce qui pouvait compter à l’époque de chercheurs, de personnalités politiques, de responsables de sociétés, d’institutions... Dans l’assistance, et parmi les intervenants, Fred Forest était, le seul artiste présent…Les hasards de la circulation dans les couloirs d’un colloque, nous ont mis en présence l’un de l’autre, et notre curiosité réciproque nous a conduite à nous interroger mutuellement. Je lui avais fait part de mon étonnement de trouver un artiste dans un lieu dévolu aux technologies de communicationÊ! Étant en France, j’aurai imaginé plutôt d’avoir l’occasion le rencontrer au Louvre, au quartier latin où les galeries d’art abondent, ou encore au Centre Georges Pompidou…Dans les réunions où je me manifeste de façon professionnelle, je suis plus habitué à croiser en général, des ingénieurs, des administrateurs de société ou des responsables d’institutions. En quelques mots, Forest a su me convaincre, avec la passion qu’on lui connaît, que sa présence était aussi légitime comme artiste que celle de toutes les autres personnes présentent. Ces personnes qui gravitaient autour de nous pendant le quart d’heure de pause-café qui nous avait été chichement concédé par les organisateurs entre deux interventions. J’ai eu l’occasion par la suite, de mieux connaître son travail, et de comprendre en quoi et pourquoi cette démarche singulière était bien en liaison étroite avec le médium Internet et sa relation avec l’art. J’ai compris que Fred Forest, depuis toujours, avait été un expérimentateur et un chercheur de sens. J’ai compris combien il avait déjà, dans sa tête et dans ses dispositifs, fait de l’Internet, avant même qu’Internet n’existe ! Les notions de présence à distance, d’ubiquité, de temps réel, d’interactivité, de réseaux sociaux, d’hypertexte, lui étant déjà parfaitement familières. En pionnier dans le domaine de l’art, avec des artistes comme Name June Paik, Roy Acott et d’autres encore, il avait, dès les années 70, expérimenté les nouveaux modèles esthétiques d’une société en mouvement et en mutation. C’est bien pour cela en 1999, quand il m’a présenté son projet de mariage sur Internet avec l’artiste numérique, Sophie Lavaud, que j’ai accepté d’emblée d’être leur témoin pour cet événement en première mondiale. Mariage ayant pour cadre la ville d’Issy-les-Moulineaux, et pour maire le ministre André Santini, bien connu pour le soutien qu’il a toujours apporté aux nouvelles technologies dans sa ville. L’intérêt de ce mariage, c’était qu’il anticipait sur ce qui se met en place aujourd’hui en matière de réalité augmentée, et qu’il nous induisait, en anticipant, à prendre conscience comment une cérémonie citoyenne, pouvait devenir aussi, dans la société de l’Internet, un rituel social induit par les usages.
Je ne vais pas m’étendre, ici, sur les très nombreuses utilisations et expérimentations, au titre de l’art, que l’artiste a réalisées depuis 1995 sur le web. Aujourd’hui , pour ses expositions au Gerswhin Hôtel et à la White Box, il utilise Second Life comme support de ses œuvres, en proposant un laboratoire d’idées pour le futur. L’artiste qui est souvent perçu comme un provocateur-né utilise Second Life comme un outil collaboratif et critique, pour interroger une société en crise. Une société dans laquelle avec des outils comme ceux d’Internet, il en devient un acteur à part entière, s’efforçant de promouvoir la sagesse et la solidarité pour tous et pour un monde meilleur.
Vinton G Cerf
Vice president and chief Internet evangelist for Google. Widely known as one of the "Fathers of the Internet," Cerf is the co-designer of the TCP/IP protocols and the architecture of the Internet.
Juin 2009
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