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ANIMATION
DANS LA CYBER-INFORMATION
LE
MÈTRE CARRE ARTISTIQUE
ESPACE
MÉDIATIQUE (presse écrite, radio, T.V.) ESPACE
CARDIN - HÔTEL LE CRILLON, PARIS.
MARS-OCTOBRE
1977
CONCEPT :
Appropriation
de lespace de linformation aux fins de faire passer
un message critique sur les pratiques de la spéculation
immobilière particulièrement florissantes à
cette époque-là.
Le
concept de laction entreprise ici repose sur le montage
dun dispositif visant à créer une "uvre-information"
critique. Une uvre qui prendra corps et existence dans
le corps même de la grande information, utilisant pour
ce faire les supports médiatiques nationaux. Luvre
envisagée a pour objectif premier la dénonciation
des pratiques de spéculation ( liée à
des scandales financiers particulièrement juteux à
l'époque, dont ceux de la Garantie Foncière
et des frères Willot, au nombre de quatre, surnommés
les Dalton) en mettant en relation parodique la spéculation
dans l'immobilier avec celle qui s'effectue dune manière
aussi effrénée que joyeuse dans le marché
de l'art.
En
vue dêtre en mesure créer cet " événement "
médiatique, l'artiste met en place une stratégie
de communication dont laxe s'appuie sur quatre points
fondamentaux qui en constituent le socle :
1-
Création d'une société civile immobilière
dans les formes légales devant notaire.
2-
Achat à la frontière suisse d'un terrain de
5m x 4m, divisé par un géomètre expert
en 20 parcelles, baptisées : m2 artistiques
inscrits au cadastre. Ces lopins de terre, de statut très
particulier, seront " commercialisés "
par la " Société civile immobilière
dite du mètre-carré ".
3-
Publication dans le journal Le Monde, daté du 10 mars
1978 d'un encart publicitaire occupant un tiers de page, sous
le titre : " Placez vos capitaux à deux pas
de la frontière suisse ".
4-
Mise en vente d'une première tranche des " m2
artistiques " aux enchères publiques sous
le marteau de Maître Jean-Claude Binoche à l'Espace
Cardin au cours d'une vente d'art annuelle où sont
proposés, entre autres, des tableaux de Picasso, Max
Ernst, Fernand Léger, etc. Vente prévue pour
le 22 mars 1977 à 21 heures.
Le
lendemain de la publication de cet encart dans le journal
Le Monde, Fred Forest est convoqué quai de Gèvres,
dans les bureaux du service de la répression des fraudes
au Ministère de lIntérieur.
Il
est interrogé longuement sur ses intentions et ses
motivations, avant de se voir menacé dune inculpation
sous le chef de " publicité mensongère"
en vertu de la loi Royer. Un des trois officiers de police
présent lui mettant alors sous les yeux un rapport
de la gendarmerie dAnnemasse, rédigé à
la demande du Procureur de la République, attestant
après visite du brigadier de gendarmerie et transport
sur les lieux, que le terrain litigieux en question, navait
rien, non rien, dartistique ! Lartiste faisait
alors remarquer respectueusement aux fonctionnaires de police
qui linterrogeaient quun gendarme na nullement
qualité pour juger de la chose de lart, nétant
nullement expert en ce domaine pour se prononcer .
Comme
il est aisé de le comprendre toutes les conditions
se trouvaient maintenant réunies pour créer
lévénement et donner un véritable
statut au " m2 artistique "
de Fred Forest, avec la collaboration, inespérée
et involontaire, dun brigadier de la gendarmerie dAnnemasse
Lartiste au sortir du ministère de lIntérieur
se contentant, alors, dexpédier un simple communiqué
aux agences de presse qualifiées. Le résultat
ne se fit pas attendre : le lendemain, une avalanche
darticles dans la presse, notamment dans la presse économique.
Nouveau
rebondissement jouant en à la faveur de lévénement :
deux jours avant la vente prévue et annoncée,
la Chambre de Discipline des Commissaires-priseurs, sur l'ordre
du Parquet, signifie à Maître Binoche l'interdiction
de procéder à la vente aux enchères du
" m2 artistique ". Devant cette
décision incontournable et sans appel dans limmédiat,
Forest trouve une réplique adaptée, et propose
en remplacement du " m2 artistique ", interdit
à la vente, son remplacement pur et simple par le " m2
non-artistique " ! Un vulgaire morceau de tissu
blanc, dun mètre sur un mètre, qui sera
acquis par un collectionneur pour le montant non-négligeable
à lépoque de... 6 500 FF !
Entre
temps, les Renseignements Généraux de Lyon sont
chargés d'enquêter ! À cette occasion
Henri Chambon de TF1 effectue le premier reportage sur le
terrain. Laffaire sétoffe. Le " m2
non-artistique " comme nous lavons dit nest
quun vulgaire morceau de chiffon blanc, acheté
le matin même, pour la somme modique de 59 FF,
revendu le soir avec une plus-value énorme ! Forest
avec sa démonstration nous donne " à
voir " les mécanismes de la spéculation,
les mettant en scène avec leur propre rituel dans le
lieu social et professionnel où ils s'effectuent habituellement.
La spéculation, en tant que telle, est remise en selle
dans " l'espace médiatique ". Les
plumitifs et les commentateurs sen donnent à
cur joie. Dans lignorance la plus totale, ils
contribuent à la création dune uvre
dart déjà historique. Les retombées
de la presse, aussi bien écrite qu'audiovisuelle, sont
considérables. Par sa sensibilité aiguë
à la circulation et au traitement de l'information
dans nos sociétés, Forest a su détourner
et " subvertir ", en les investissant
de l'intérieur, les médias. Les asservissant
à la cause de sa démonstration, c'est-à-dire
à celle de son " uvre ".
Une uvre sous forme d'une constellation d'informations
que son action fait émerger par la force du dispositif
et de l'événement médiatique créés.
L'action
du " m2 artistique ", activée
par l'artiste, connaîtra des prolongements dans les
mois suivants avec dautres encarts publicitaires dans
le journal Le Monde. Relancé sous forme d'un " appel
d'offre international ", le " m2
artistique " connaîtra de nouvelles aventures,
cette fois dans les salons de l'hôtel Crillon, réservés
à lart et la spéculation pour la circonstance.
BIBLIOGRAPHIE
:
Journal
Le Monde, daté du 10 mars 1977, Paris (première
annonce).
Journal
Le Monde, daté du 20 septembre 1977, Paris (seconde
annonce).
Libération,
28 octobre 1977, Paris (dernière de couverture dans
sa totalité).
France
Soir, 29 octobre 1977, Paris.
The
Paris Métro, 22 octobre 1977, Paris.
" +-0 ",
Bruxelles n°16/17/18/20 années 1977 et 1978.
Artes
Visuals, n°18/19, 1977, Mexico.
et
très nombreux articles dans la presse écrite
et audiovisuelle nationale
(
voir bibliographie générale).
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